1.1 - Forêt vierge, primaire, ou ancIenne ?
La Puszcza : un concept slave
«Au vu de son histoire, je ne crois pas non plus à une forêt primaire. Je préfère de beaucoup utiliser le terme de « forêt à caractère primaire », qui me parait bien mieux adapté» précise Bogdan Jaroszewicz. « Quant au terme de forêt vierge, j'aimerais vous donner une explication qui est d'ordre linguistique, et qui vaut ce qu'elle vaut : en Polonais, nous avons plusieurs termes qui désignent la forêt, comme le mot las, qui signifie « forêt gérée, anthropisée, ou de « taille humaine ».
Et il ya aussi le mot Puszcza qui, à ma connaissance, ne connait pas d'équivalent en Français ou dans les autres langues ouest-européennes. Ce mot est très lié à la culture slave et polonaise. Il signifie à la fois « la grande forêt », et « lieu sauvage où ne vit aucun humain ». Dans ce sens, la forêt de Bialowieza, du moins dans sa réserve intégrale, est sans conteste puszcza. »
Patrimoine mondial de l'humanité
L'établissement du parc remonte à 1921, avec la création d'une réserve forestière, dont 1060 hectares furent placés sous protection stricte 3 ans plus tard. « Dès cette époque, les richesses naturelles et les méthodes de protection employées répondaient aux critères obligatoires d'un parc national, telles que définies par {'IUCN en 1969» précise le Dr Czeslaw Okolow, Conservateur du Parc National de Bialowieza.
La création du parc national - Bialowieski Park Narodowy - remonte à 1947. En 1977, l'UNESCO a reconnu la réserve intégrale comme une des quatre réserves de la biosphère (MAB) polonaises, et deux ans plus tard, celle-ci a été classée sur la liste du Patrimoine Mondial. En 1992, le site du Patrimoine Mondial a été étendu aux 4500 hectares du Parc National Biélorusse contigu à la réserve intégrale, créant ainsi le premier site européen inter-frontalier.
Bialowieza et son histoire
Des éléments de paysage proches de la forêt originelle |
Protégée depuis le 16ème siècle en tant que réserve de chasse des rois de Pologne, Bialowieza est parfois considérée comme «le premier ancêtre des actuels parcs nationaux », comme l'écrit Pierre Pfeffer, spécialiste des grands animaux au Muséum d'Histoire Naturelle. L'objet principal des recherches qui font la renommée de Bialowieza est la Réserve Intégrale, située dans la fourche créée par les rivières Hwozna et Narewka. Cet espace de 47 km2 est soumis à un statut de protection stricte : l'activité humaine y est aussi limitée que possible, et tout acte de gestion forestière y est interdit, si ce n'est le dégagement des grands arbres tombés en travers des chemins forestiers.
Dans la brochure «Parcs Nationaux : l'Europe dans toute sa nature», la réserve de Bialowieza est décrite comme «une des dernières forêts primaires mixtes de plaine en Europe ».
Ailleurs, elle est parfois qualifiée de «forêt vierge » (brochure éditée en 1983 par la Direction des Forêts Domaniales de Bialystok), ou de «forêt ancienne ». Alors, vierge, primaire, ou ancienne ? Sur ce sujet, les questions sont innombrables. Parmi les participants français du voyage, Michel Sinoir (Directeur-adjoint du Parc National des Pyrénées) se dit content d'être confronté au «mythe de Bialowieza», tandis que d'autres, comme Thierry Lecomte, du Parc Naturel Régional de Brotonne, spécialiste des grands herbivores, contestent le terme de forêt primaire.
Des éléments de paysage proches de la forêt originelle
Dans le tiré à part mis à notre disposition par l'Aten, le Pr Falinski reconnait que « e complexe forestier de Bialowieza ne mérite plus, c'est exact, le nom de forêt vierge. Néanmoins, de nombreux cantons n'ont pas été perturbés par l'homme depuis plusieurs siècles. On peut encore y trouver, ça et là, des éléments de paysage relativement proches de la forêt originelle, des stations peuplées d'espèces végétales proches de la forêt primaire, espèces qui, ailleurs, ont disparu ou reculent devant l'avancée de la civilisation. Par rapport à d'autres complexes forestiers de plaine en Pologne et en Europe, on peut dire que la proportion des éléments anthropogènes est plus faible, et que le niveau de néophytisme - c'est à dire le nombre d'introductions d'espèces adventices dans les groupements végétaux naturels - est particulièrement bas. »
Ces précisions ne pouvant par elles-même satisfaire tous ceux qui en étaient à leur première visite de Bialowieza, nos questions se tournaient naturellement vers Bogdan Jaroszewicz, Conservateur du Musée du Parc National de Bialowieza et spécialiste de l'histoire locale. La visite du Musée en sa compagnie permet de se faire une idée plus précise de l'influence humaine sur cet espace aujourd'hui strictement protégé.
Une forêt relativement épargnée par l'histoire européenne
« Le manteau forestier s'est constitué après la dernière glaciation, il y a environ 10 000 ans» explique-t-il. «Les plus anciennes traces de présence humaine datent de l'âge du Bronze, et proviennent de la partie biélo-russe de la forêt. Par la suite, les archéologues ne relèvent plus aucune trace jusqu'à la période du haut Moyen-Age. Du 10ème au 13ème siècle, des tribus forestières d'origine slavonique vivaient ici, avec apparemment pas ou peu de contacts avec le monde extérieur. Ces populations païennes chassaient, exploitaient probablement les arbres individuels remarquables, mais se contenaient le long des cours d'eau comme la Narewka. Un fait est sûr : ces tribus seront littéralement exterminées par l'invasion des Tatars au 13ème siècle. Comme reliefs archéologiques, ils nous ont laissé plus de 600 tumuli - sépultures rituelles de chefs ou de personnages importants- dont vous pourrez voir la trace dans la réserve intégrale. »
«Sur certaines parcelles, on retrouve aussi la trace d'unités primitives de production de charbon de bois datées du 17 et 18ème siècle.
Aujourd'hui, ces anciennes clairières se remarquent au fait qu'elles sont dominées par les trembles et bouleaux de taille plus petite.
Au 19ème siècle, la forêt a continué d'être exploitée in minima : on ne retrouve pas de traces de coupe claire, mais on sait par ailleurs que la marine russe venait prélever les plus beaux arbres, pins ou chênes, pour la fabrication des mâts de bateau. Vers 1850, les Russes ont divisé la forêt en parcelles de 1066 mètres, d'après une ancienne mesure impériale : la Viorsta. Les allées forestières que vous pouvez voir actuellement dans la forêt datent de cette époque. »
La traversée des grandes crises du vingtième siècle
«Pendant la première guerre mondiale, les Allemands ont prélevé en trois années d'exploitation plus de 5 millions de mètres-cubes de bois sur toute l'étendue biélo-russe et polonaise. Ils ont également construit un réseau de 300 km de rails pour l'exploitation forestière. Heureusement, la partie qui est actuellement réserve intégrale n'a subi que peu de dommages : un botaniste de l'Université de Berlin avait formé le projet d'une réserve naturelle sur le site actuel de la réserve intégrale, celui-ci, situé entre deux rivières, étant le mieux préservé.»
«Parallèlement, la forêt a très tôt été la réserve de chasse des souverains : grands-ducs de Lithuanie dès le 16ème siècle, rois de Pologne, Tsars à partir de 1888. Pendant la seconde guerre mondiale, la forêt dépendait directement de Goering, qui considérait Bialowieza comme son terrain de chasse privé. D'une certaine manière, cet aspect « réserve de chasse» a certainement protégé la forêt des défrichements, et a contribué à conserver ses caractères primaires. D'un autre côté, on sait que d'importantes introductions de gibier entre 1888 et la première guerre mondiale dans «le jardin de chasse du Tsar» ont eu d'énormes conséquences sur les peuplements actuels : une génération d'arbres, qui auraient entre 80 et 120 ans aujourd'hui, a complètement disparu ».