Introduction a la forêt de Bialowieza

 

«Il faudrait des mois pour bien s'imprégner du message de Bialowieza» nous avait prévenu Jacques Blondel, qui en est à son troisième voyage d'étude dans la Réserve de la Biosphère.
«Mais quelques jours peuvent suffire pour comprendre l'importance de l'espace, et la structure en mosaïque de la forêt». Directeur de Recherche au CNRS et auteur de plusieurs ouvrages d'écologie fondamentale (1), Jacques Blondel pense que «la réserve intégrale de Bialowieza est une fenêtre ouverte sur le passé : c'est un des derniers endroits en Europe où l'on peut se rendre compte de la manière dont l'évolution a construit un système forestier, où l'on peut voir un ensemble intégré dont les composantes faunistiques et floristiques sont indissociables.»

«Oui, et c'est aussi un coup d'oeil dans le futur» ajoute Jean-Paul Klein, conservateur de trois Réserves Naturelles Rhénanes, gérées par le Conservatoire des Sites Alsaciens.
«Bialowieza est pour moi une confirmation de ce que seront les structures des forêts alluviales du Rhin dans deux ou trois siècles - si on les laisse se développer de manière naturelle.»

 

D'entrée de jeu, ces deux points de vue reflètent l'extraordinaire diversité du groupe d'étude, qui, par la pluralité des disciplines et de la richesse des expériences, ressemble - comme la forêt - à une mosaïque. Toute la panoplie des sciences de la nature y est représentée : écologie fondamentale, botanique, phytosociologie, ornithologie, mammologie ... Toutes disciplines qui font aussi la renommée des chercheurs de l'école de Bialowieza.

Observations tous les 5 jours, depuis 29 ans

Avec 3500 habitants et cinq instituts de recherche de très haut niveau, Bialowieza a en effet la réputation d'être «le village le plus universitaire de Pologne». Une renommée qui dépasse largement le cadre des frontières polonaises. Dans divers domaines de l'écologie scientifique, les orientations de recherche de «l'école de Bialowieza» constituent une référence:  travaux de l'Institut de Mammologie sur le bison, le loup, le lynx ; recherches d'ornithologues comme Ludwig Tomialojc et ses collègues ; observations menées par le Pr Falinski dans le cadre de l'Institut de Géobotanique.

Certaines recherches de l'Institut de Géobotanique - sur la dynamique des peuplements forestiers notamment - se poursuivent de manière continue depuis 1936. D'autres, comme les études sur la dynamique des phytocénoses, font l'objet d'observations régulières, tous les 5 jours, depuis 29 ans ... Selon Benoit Garonne, de l'Institut de Botanique de Montpellier, ces travaux constituent «un apport th éorique inestimable», tant pour la connaissance de milieux peu modifiés, comme la réserve intégrale, que pour comprendre les caractéristiques des milieux gérés par l'homme.

L'école de Bialowieza : un apport scientifique inestimable

«Au niveau scientifique, il est précieux de pouvoir étudier un système dont l'homme ne tire aucun profit direct, estime Benoit Garonne. Le problème est que beaucoup de phénomènes qui se passent sous nos yeux sont très difficiles à enregistrer, car bien plus longs que la vie humaine. Les scientifiques de l'Institut de Géobotanique et l'équipe du professeur Falinski suivent ces phénomènes année après année, et projettent de continuer ce travail sur des générations. A ma connaissance, c'est le seul endroit au monde où l'on poursuit de telles observations».

Pour leurs recherches, les scientifiques disposent d'un champ d'investigation d'une richesse exceptionnelle. De nos jours, la grande forêt de Bialowieza couvre 150 000 hectares de part et d'autre de la frontière biélorusse. La partie polonaise s'étend sur environ 62 500 hectares, et constitue ainsi le plus grand massif d'un seul tenant dans un pays pourtant riche en couverture forestière. L'objet principal du parc est la «Réserve Intégrale», un espace strictement protégé de 47 km2 , inscrit au titre de Réserve Mondiale de la Biosphère, et souvent décrit comme une des dernières reliques de la forêt primaire européenne. Au sein du groupe d'études, toutes disciplines et intérêts confondus, les premières questions et discussions vont toutes vers la réserve intégrale, cette «fenêtre ouverte sur le passé de l'Europe».

                                                                                                        
(1) Voir notamment :
Biogéographie et écologie (Masson, Paris 1979)
Biogéographie évolutive (Masson, Paris 1986)
Nombreux articles in «La Terre et la Vi e>., «Science », etc ...

Génèse d'une expédition

«Jacques Blondel, notre professeur en Biogéographie évolutive dans le cadre du DEA «Evolution et Ecologie», nous répétait depuis des années qu'on ne pouvait pas comprendre l'évolution et la structure des populations animales et végétales sans avoir vu une forêt primaire» explique Sylvie Arnavielhe, qui a rédigé un mémoire sur le Bison d'Europe à l'Université de Montpellier. «Il disait souvent que nous devrions organiser un voyage, et qu'il se libérerait pour nous accompagner. Je l'ai pris au mot. C'était un pari un peu fou au départ - en tant qu'étudiants, nous n'avons pas forcément les moyens, ni le temps en cette période de l'année». Mais à force de rassembler les énergies et les moyens, d'échanger courriers et fax avec les autorités polonaises du parc, l'hotel lwa de Bialowieza, ou le transporteur, le voyage était presque monté par les étudiants.
Malheureusement, le montant de la participation individuelle restait encore un problème, les participants étant trop peu nombreux pour optimiser le remplissage d'un bus.

C'est alors qu'intervient Jacques Claudin, Chargé de Mission à l'Atelier Technique des Espaces Naturels, amenant dans ses bagages une cohorte de représentants d'espaces protégés, venus d'horizons aussi divers que les Parcs Nationaux (Ecrins, Mercantour, Pyrénées), la Réserve Nationale de Camargue, Parcs Naturels Régionaux (Brotonne), Conservatoire des Sites Naturels Régionaux (Réserves Naturelles Rhénanes) ... Tous, scientifiques et/ou gestionnaires, venaient donc se joindre aux personnes déjà contactées par les étudiants - membres d'organismes comme la Ligue de Protection des Oiseaux, Ministère de l'Environnement - et aux trois professeurs de l'Université de Montpellier: Louis Thaler, Directeur de la Formation Doctorale «Evolution et Ecologie», Benoit Garrone, de l'Institut de Botanique, et Jacques Blondel, du Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive. Complétez par quelques «animateurs-nature» et autres professions indispensables à toute expédition naturaliste : peintre animalier et photographe de renom (Serge Nicolle et Bruno Pambour), écrivain naturaliste (Philippe Dupont), journaliste, etc ... Le tout constituait un ensemble d'une extraordinaire richesse roulant sur les autoroutes cahotiques d'Europe centrale (l'allure étant d'ailleurs ponctuée de brusques arrêts et de cris d'ornithologues ayant flairé la «coche» (Cigogne Noire, Aigle Pommarin, et bien d'autres)). Pendant le séjour, toute cette biodiversité intellectuelle devait être encore complétée par la rencontre avec les scientifiques de «l'école de Bialowieza», et d'autres chercheurs comme Norbert Schäffer sur le site des marais de la Biebrza ...